La chronique de Tristano (3)

et puis en ce moment, tout le monde parle d'elles, et en parle beaucoup, tout le temps, se plaint, et reviennent sans cesse dans les conversations, les articles de journaux, les titres, les gros titres, affichés jaunes dans les rues, et la télévision aussi, tu imagines, et puis disent qu'ils n'ont jamais vu ça, le nombre, la quantité, qu'ils n'ont jamais connu ça, et puis donnent des chiffres, des dates, pour appuyer leur propos, leurs paroles, cherchent dans leur mémoire une anecdote, une image, pour toucher, faire peur, pour impressionner, et on te raconte qu'un plongeur qui les a rencontrées a eu la bouche marquée, la lèvre brûlée, et on ajoute,

tu écoutes, tu souris,

tu es allé les voir toi, les méduses, et tu les as trouvées jolies, dans leur fragilité transparente, et tu es resté longtemps, là, à regarder,

la petite tache claire, rouge ciselée, dans le gris heurté des vagues, de la pluie, la lenteur dénudée de leurs gestes de dentelle, sous les vagues qui les  caressent et multiplient, 

tu ne t'en lasses pas, les trouves belles, et tu restes à regarder,

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et puis il faut beau aujourd'hui et tu vas à la plage, tu n'es pas fier, tu ne t'es pas encore baigné, tu en profites, et puis tu es content quand tu arrives, il n'y a pas beaucoup de monde dans l'eau, personne, et le soleil appuie fort sur les yeux, tu y vas,

tu ne peux pas te baigner, il y a des méduses, les méduses dont on parle et qui piquent, et tu te mets à les compter pour donner des chiffres, les tiens, raconter, te plaindre, parce que finalement,  ces méduses, quand tu les regardes de près, en maillot de bain, elles ne sont pas si belles,